« Dit Docteur Sam, elle te vient d’où cette cicatrice ? » L’enfant pointa du doigt l’avant bras droit de l’homme. Celui-ci posa son regard sur la large marque rougeâtre. « Un dragon m’a craché du feu alors que je voulais voler ses œufs en or. » La petite fille éclata d’un rire sonore. Un rire innocent qui emplissait toute la pièce. Qui donnait de la vie à cet endroit de mort. La fillette se retourna vers lui, avec sa mine fatiguée. « J’en ai marre de ces machines Docteur Sam… » Elle se saisit des tubes en plastiques passant autour de son corps, et s’insérant dans ses narines. Elle était en phase terminale. Elle n’allait probablement pas passer la semaine. Mais il ne pouvait pas lui dire ça. Pas à une enfant. « Je sais Suzie, mais elles sont là pour ton bien. » Il plongea la main dans sa poche et en ressortit une énorme sucette d’un rouge éclatant. Un sourire illumina de nouveau le visage de la petite Suzie. Il lui tendit le bonbon et lui administra une caresse sur la tête, ainsi qu’un baiser sur le front. C’était tout ce qu’il pouvait faire pour elle maintenant. Lui rendre ses derniers instants de vie agréables. Il sortit de la petite pièce blanche et déambula dans les couloirs de l’hôpital. Cela faisait maintenant cinq ans qu’il était dans le secteur des enfants atteints de maladies graves. Cinq qu’il côtoyait la mort injuste de ces petits êtres. Cinq ans qu’il essayait de rendre leurs derniers mois moins moroses.

Les rues de Brooklyn étaient pratiquement désertes à cette heure tardive. Il marchait tranquillement, profitant de l’air doux de la fin du printemps. Il jeta un coup d’œil à son avant bras. A cette tâche. Cette marque qui lui rappelait tous les jours son enfance, son ancienne vie, ses ennuies.

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« Aller Sam ! Laisse-moi touiller ! » Le petit garçon se dressa sur la pointe de ses pieds, lançant un regard noir à son ainé. « Même pas en rêve. » Une dispute, comme tous les jours. Une simple divergence d’opinion. Fait récurrent chez tous les frères de la planète Terre. Il devait prendre soin de Tobias. Il en était responsable. Le jeune homme regarda l’horloge de la cuisine. « Va chercher les frites dans le congèlateur. » Il retourna à sa marmite, ne prêtant plus attention à son petit frère. Son père était mort alors qu’il n’avait que 5 ans, et sa mère assumait ses deux fils seules, travaillant toute la journée. Cela faisait six ans maintenant. Six ans qu’il était devenu le mâle de la famille. Celui qui devait prendre les choses en main. Il avait été celui qui consola sa mère, au décès de son père. Celui qui aida son petit frère –de deux ans son cadet- lorsque celui-ci avait des difficultés à l’école. Sa mère ne pouvait pas s’occuper de tout ça. Elle ramenait simplement l’argent, s’affalant sur le canapé à la minute où elle avait passé le pas de la porte. « Bon tu t’en sort ?! Faut pas être Einstein pour sortir un paquet de frite d’un congèle ! » Il se retourna. Tout se passa très rapidement. Trop rapidement. Il eut simplement le temps de pousser un cri de stupeur, de se jeter sur Tobias avant que l’inévitable n’arrive. Mais il ne put l’en empêcher. Il ne put stopper la chute de la friteuse, pleine d’huile bouillante se déversant sur le corps de son jeune frère. Lui-même s’en reçut sur l’avant bras droit.

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Il s’arrêta quelques instants. Le silence autour de lui l’oppressait. Une larme coula le long de sa joue. Larme qu’il essuya aussitôt. Il s’était juré de ne plus y penser, de ne plus se blâmer. Mais ne pouvait s’en empêcher. Il ne pouvait s’arrêter de se dire que ce qui était arrivé à Tobias était de sa faute, à lui seul. Que s’il avait été plus vigilant, rien de tout cela ne se serait produit. Il rentra dans le premier bar à sa portée, et s’assit directement au bar. Il se saisit du verre du liquide incolore que le barman venait de poser devant lui et le bu cul sec, tout comme les trois suivants.

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Il tenait une petite croix métallique entre ses doigts, priant tous les Dieux et Déesses qu’il connaissait. Il leur demandait de lui venir en aide, à lui, à son petit frère. Cela faisait plusieurs jours qu’il était assis à la même chaise, près du même lit, dans le même hôpital. Mais il ne voulait pas s’y résoudre. Il ne voulait pas le perdre. Pas lui, la seule chose qui lui restait. Sa mère n’était même pas venue lui rendre visite. L’avait-elle seulement remarqué, que son petit garçon était allongé sur un lit d’hôpital, brûlé de la tête aux pieds ? Il en doutait. Un bip retentit. Un bip qui n’annonçait rien de bon. Les médecins et infirmières se précipitèrent dans la petite chambre. Il regardait de tous les côtés, avant de poser ses yeux sur Tobias. Des larmes emplirent son visage, alors que le médecin débranchait les machines. Il resta plusieurs minutes, assis à côté du corps inerte de son défunt frère. Les Dieux ne l’avaient pas entendu, les Dieux n’existaient pas. Ils n’avaient rien fait pour lui venir en aide. Rien du tout.

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Un bruit de clefs s’enfonçant dans une serrure résonna dans tout le couloir de l’immeuble. Il avait titubé depuis le bar jusqu’à chez lui. Il jeta le trousseau sur la petite table basse, et se dirigea vers la salle de bain, afin de se défaire de ses vêtement et de venir s’allonger sur le lit. Il fixa le plafond pendant plus d’une heure. Une heure durant laquelle il se rappela. Il se souvenait de pourquoi il était médecin. Pour sauver des vies, ou tout du moins essayer de rendre les derniers moments agréables. Il voulait faire le travail de ces Dieux qui n’en avaient rien à foutre de la race humaine. Qui n’existaient pas. Oui, il ne pouvait compter que sur lui-même pour réparer ses erreurs du passé…