Artemis papillonna des yeux, laissant le voile de ses paupières s'élever pour apprécier la lumière qui venait caresser son visage et sa peau. Elle étira avec délectation ses membres encore engourdis par le sommeil avant de se lever du lit, observant la silhouette masculine qui se cachait sous ses draps —
Attendez une minute. Une silhouette masculine qui se cachait sous ses draps ? Elle n'était certes, plus vierge, depuis l'aube du dix-neuvième siècle, mais elle n'avait jusqu'alors eu pour compagnons d'une nuit qu'Apollon, et quelques nymphes de sa garde qu'elle avait séduit avec subtilité afin d'égayer ses crépuscules solitaires. Jamais n'avait elle amené d'autres hommes dans ses draps que son propre frère, et encore moins sans aucun souvenir de la veille au soir. Elle était une déesse, et qu'importait l'ivresse que pouvait lui apporter la douce ambroisie, les effets de l'alcool ne la laissait jamais plus qu'exaltée. Paniquée par le retournement soudain de situation, elle brandit son arc (qui ne faillait jamais d'apparaître entre ses mains quand le besoin s'en faisait sentir) et s'écria «
Qui es-tu ? Montre toi avant que je t'embroche de ma flèche ! ». L'homme se redressa et frotta ses yeux, fronçant les sourcils. Elle gronda en montrant les dents de manière instinctive, une habitude qu'elle avait pris lorsqu'elle se sentait menacée. «
QUI ES-TU » répéta-t'elle plus doucement, comme on parle à un enfant désobéissant. Il souleva les paupières avec difficultés et la regarda, défait «
Toi, qui es-tu ? Je ne me souviens pas t'avoir possédée. Quel est ton nom ? Et ranges cet arc. Il est six heures du matin et je ne suis pas d'humeur à me faire menacer. ». Artemis ne montra aucun signe de l'avoir entendu, si ce n'est en tendant son arc davantage pour viser le front de son interlocuteur «
Réponds ou meurs. ». Il leva les mains en l'air «
Ça va, ça va. Je suis Apollon. ». Sous le choc, la déesse sentit son arc vaciller dans ses mains, et il en profita pour lui arracher et se positionner derrière elle, ne semblant pas gêné que leurs corps nus se retrouvent collés l'un à l'autre. «
Dis moi ton nom. » souffla t-il sensuellement au creux de son oreille, la faisant frissonner. Elle sentit la main du jeune homme lui caresser le flanc et finit par murmurer «
Tu sais qui je suis. Je suis Artemis. Maintenant, veux-tu bien m'expliquer pourquoi tu as pris cette apparence ? ». Les doigts cessèrent tout mouvement sur sa peau, et elle se surprit à les regretter. «
Artie ?! » il se décala d'elle et pour la première fois, elle aperçut son propre reflet dans un petit miroir au dessus de la tête de lit. Si son frère, Apollon, avait radicalement changé, il en allait de même pour elle. Ses cheveux, d'ordinaire d'un blanc lunaire qui lui tombait par cascade sur les épaules, avaient pris une vilaine teinte marron, et son visage s'était adoucit. Elle était plus jolie, elle ressemblait à l'une de ces pales poupées de porcelaine, plutôt qu'à la guerrière qu'elle s'était toujours targuée d'incarner. «
Par notre père, Artemis, que t'est-il arrivé ? » s"exclama t-il. À son tour, il croisa son reflet dans le miroir et le dévisagea intensément. «
Est-ce que c'est moi ? Quelle est cette mauvaise blague ? Je suis brun ! Où sont mes cheveux blonds ? » et elle de rétorquer sèchement «
Et où sont les miens ? Et que faisais-tu dans mon lit ? » elle continua après un coup d'oeil aux alentours «
Et où sommes nous ? » Apollon s'approcha de la fenêtre et dit doucement «
Je crois bien que nous nous trouvons à New York, mais je ne peux en jurer. La dernière fois que je suis venu ici, nous étions en 1968 et je venais me délecter des filles légères qui étaient aussi faciles à cueillir que des fleurs de forêt. Douce époque que celle des Woodstocks. ». Artemis grinça des dents à la mention des conquêtes de son frère et il lui lança un regard entendu, sachant très bien la jalousie que lui apportait la simple référence de ces séductions d'un soir. Apollon retourna à ses côtés, lui faisant face alors qu'il encadrait le visage de la déesse de ses paumes «
Quant à ce que je faisais dans ton lit, chère soeur, je m'étonne que tu te poses encore la question après ces derniers siècles où tu l'as si volontairement partagé. ». Elle souffla, irritée qu'il soit dans le vrai, ce à quoi il répondit d'un sourire narquois avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Agacée, elle le repoussa d'une claque sur la main «
Je ne suis pas une vulgaire courtisane, et encore moins l'une de ces humaines libertines qui ont plus ouvert leurs cuisses qu'elles n'ont ouvert de livres ! ». Son frère l'embrassa à nouveau - il semblait à Artemis que ce corps dans lequel elle se trouvait pas hasard plaisait au dieu plus que de raison, et elle se laissa faire, répondant passivement au baiser qu'il lui imposait. Quand il se dégagea d'elle, à bout de souffle, il murmura fiévreusement «
Et pourtant tu baises comme une courtisane, tu bouges comme une courtisane, tu danses comme une courtisane » il la rapprocha de lui «
Tu embrasses comme une courtisane et tu me séduis à la manière d'une courtisane. Qu'est-ce que cela dit de toi, soeurette ? ». Elle alla à l'opposé de son frère pour observer les photos posées sur la table de nuit «
Que tu lis dans mon attitude ce que tu as envie d'y lire. ». Le cadre qu'elle avait pris en main les montrait, elle et "Apollon", échangeant un baiser passionné sur une plage de sable blanc avec un coucher de soleil derrière eux, une photographie parfaitement cliché du couple heureux et amoureux. Mordillant sa lèvre inférieure, elle jeta un coup d'oeil autour d'elle et finit par trouver un sac à main qui aurait pu lui appartenir. Elle l'ouvrit et attrapa le porte monnaie, dans lequel elle trouva une carte d'identité et un permis de conduire au nom de Geraldine Greenwoods. La voix de son frère et le bruit sourd de quelque chose qui se casse la sortit de sa contemplation muette «
Je ne comprends pas. Je n'arrive pas à retourner sur le Mont Olympe. J'ai beau me concentrer, impossible, c'est comme si une barrière entourait le palais. Pourtant, je n'ai aucun mal à faire apparaitre une partition, ou un instrument de musique. ». En effet, un gigantesque orgue venait de défoncer le plafond et du plâtre blanc s'était répandu partout dans la pièce. Exaspérée, elle reposa les papiers d'identité de la jeune femme et mis ses mains sur ses hanches «
Tu es débile ou quoi ? Fais disparaitre tout ça avant qu'un voisin ne le voit et se demande pourquoi un orgue a poussé comme par magie dans cet appartement. ». Il claqua des mains en soufflant d'un air ennuyé et tous les dommages ainsi que l'imposant instrument se volatilisèrent. Soulagée, elle se laissa tomber sur le lit «
Il faut retrouver les autres dieux. » conclut-elle «
En particulier Zeus. Lui seul saura quoi faire. ».